• Chasseurs d'Eclairs

    Rapide comme l’éclair
    Dans Terre & Nature - 23 Août 2007

    Craints pour les dégâts qu’ils occasionnent, les orages comportent également une partde fascination. La preuve avec les images du photographe français Nicolas Gascard,que nous avons suivi une nuit dans unede ses folles équipées, à la poursuitede la foudre

    Nyon (VD), 22 heures. Sur le parking de la gare, Nicolas Gascard fait les cent pas en scrutant un ciel noir de promesses. «Désolé pour le désordre, s’excuse-t-il en repoussant les affaires qui s’entassent pêle-mêle jusque sur le siège passager de sa vieille Renault, mais quand je pars faire des images pendant plusieurs jours, il m’arrive souvent de dormir dans la voiture. » Le cendrier, plein à ras bord, atteste de ces longues heures d’attente solitaire, mais aussi des centaines de kilomètres qu’il parcourt chaque nuit, pour être au plus près de l’orage. «On va traverser la frontière dans le Jura pour rejoindre un front qui s’annonce extrêmement explosif, poursuit le photographe, le regard brillant, en tournant la clé de contact. Au fait, en temps normal, je suis assez calme. Mais quand il y a des orages, je me transforme, un peu comme si j’étais une autre personne. »

    Prévisions en temps réel

    En effet, pour suivre Nicolas Gascard lorsqu’il est en chasse, mieux vaut avoir le cœur bien accroché. Les yeux rivés sur le ciel, un peu moins sur la route – qu’il connaît heureusement très bien pour l’avoir parcourue des centaines de fois! –, il accélère, pied au plancher. «On va vite passer chez moi chercher les appareils et puis on se mettra en route, il n’y a pas de temps à perdre. » Dans le ciel, quelques flashs crépitent, l’ambiance est tendue, électrique. «Ce front fait presque 400 km, explique Nicolas Gascard, qui bénéficie des prévisions professionnelles que lui donne un ami météorologue en temps réel. «Selon mes informations, l’orage devrait être très violent. » Au téléphone, les mots «lignes de grain», «bouillonnement cumuliforme», «cellule» et «convergence» (voir encadré ci-contre) reviendront plusieurs fois. Autant de termes courants pour parler de l’activité orageuse entre initiés, qu’ils soient photographes ou météorologues. «Aussi étonnant que cela puisse paraître, il y a un engouement croissant pour ce type de phénomènes naturels chez les jeunes. Je reçois de plus en plus d’appels de gens qui me disent qu’ils ont vu mon travail, qu’ils se sont acheté un appareil numérique pour pouvoir s’y mettre ou parfois, pour me prévenir de l’arrivée imminente d’un orage… trois jours en avance!», sourit Nicolas Gascard en donnant un brusque coup de volant pour éviter une biche éblouie par la lueur des phares.

    Tournages extrêmes

    Sur les pancartes, les noms des villages apparaissent une seconde avant d’être de nouveau avalés par la nuit. Une centaine de kilomètres plus loin, les virages en épingle cèdent enfin la place à une portion de route plus droite. Le sentiment de nausée ressenti sur la route du col commence à se dissiper. Dans le ciel, les étoiles ont définitivement déserté leur poste, les éclairs se rapprochent. Alors que les flashs redoublent d’intensité, on ne peut s’empêcher de penser au danger. «En principe, si on est à l’intérieur, la carrosserie fait office de protection. Mais il arrive parfois que la foudre fasse éclater le pare-brise. Dans certains cas extrêmes, le réservoir peut aussi exploser. » Pas très rassurant… Mais il en faudrait plus pour décourager Nicolas Gascard, qui a failli être foudroyé parce qu’il était sorti de sa voiture lors d’un orage particulièrement violent au Monte San Salvatore, au-dessus de Lugano (TI).

    Passionné par les phénomènes naturels violents (orages, tornades, cyclones), Nicolas Gascard les photographie depuis près de dix ans. En 1996, il décide de se mettre aussi à la vidéo, qui lui offre de nouvelles possibilités de diffusion. En 2005, des images tournées sur le bassin lémanique lui permettent de travailler pour la Télévision suisse romande. «Un des tournages faits en juillet a été marqué par un orage d’une violence extrême, au cours duquel une violente macrorafale a emporté à plus de 130 km/h – et sur plusieurs centaines de mètres! –, tentes, arbres et divers objets. » Spectaculaires, les images ont ensuite été rediffusées sur plusieurs chaînes, dont France 2, Canal +, TV5 ainsi que sur les télévisions belges, espagnoles, grecques et anglaises.

    S’il a déjà entrepris plusieurs voyages pour photographier les phénomènes naturels violents à l’étranger, Nicolas a trouvé en Suisse un terrain de chasse de qualité, avec des couloirs d’orage très propices, notamment entre Neuchâtel et Bienne, ou entre Fribourg et Berne. «Il y a aussi des points de vue superbes dans Lavaux, près de Chexbres, à Genève ou encore sur les hauteurs de Lausanne, voire à Yverdon. Mais le Tessin est de loin le canton où se produisent les orages les plus violents. » Les ingrédients pour réaliser de bonnes images? «Il n’y a pas que la photo. Il faut aussi avoir des notions de météorologie, de l’instinct pour anticiper sur les mouvements de l’orage et, surtout, beaucoup de patience. »

    Jusqu’au bout de la nuit

    Alors que le vent redouble d’intensité et que les premières gouttes de pluie s’abattent sur le pare-brise, son portable sonne. C’est un autre chasseur d’orages, posté à une centaine de kilomètres de notre position actuelle. «Il y a de la réserve, mais pas de convection, l’informe Nicolas Gascard. Il est possible qu’une ligne de grain se mette en place, mais ce n’est pas sûr. Je te tiens au courant s’il se passe quelque chose. » A mesure que les heures passent, l’espoir s’atténue. Son ami météorologue confirme: noyé dans la pluie, l’orage n’éclatera pas. Il est presque deux heures du matin, Nicolas se décide à rentrer. «Là, c’est vraiment dur. Un truc pareil, ça n’arrive que deux ou trois fois par année. » Epuisé par tant d’heures de tension, il se décide à me passer le volant et s’endort sur le siège passager. Dans le ciel, les étoiles ont refait leur apparition. Une fois arrivé chez lui, vers cinq heures du matin, Nicolas Gascard pourra enfin se reposer. Un luxe auquel il n’aurait même pas pu songer lorsque sa passion ne le faisait pas encore vivre. Il y a quelques années, il aurait dormi une heure et serait parti travailler. Tant pis si l’orage nous a échappé, demain c’est grasse matinée.

     

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